Blamont, Directeur Technique du CNES et Directeur du service aéronomie du CNRS, demandeur de l’expérience Eclipse Solaire en Argentine, se pose la question de la récupération des pointes sous parachutes.
Le CNES disposait d’un système de récupération développé par Sud Aviation qui ne marchait qu’une fois sur deux. Impliqué, le système de déverrouillage du couvercle du compartiment des parachutes ne semblait pas pouvoir être amélioré.
Jean.Pierre Morin: Contrôles de la PointeGrâce à ses accointances aux Etats-Unis, Blamont trouve un système chez SGC (Space Général Corporation, une filiale d’Aerojet) située à El Monte, banlieue de Los Angeles. Ce système est fiable, basé sur la même technique que celle de Sud Aviation (rentrée tournoyante permettant d’utiliser un maximum de surface pour freiner dans l’atmosphère la pointe jusqu’à une vitesse compatible avec l’extraction d’un parachute stabilisateur). Le système est d’autant plus disponible qu’il est couramment utilisé sur la fusée-sonde Américaine Aerobee dont le diamètre est strictement le même que celui de la fusée Titus… et de la fusée Véronique soit 550 mm. L’originalité du système réside dans deux cordeaux de découpe à charge creuse qui séparent successivement la charge à récupérer du reste de la fusée puis le couvercle extracteur des parachutes.
Commande immédiate de huit compartiments.
Je recette en Californie les huit compartiments.
Deux de ces compartiments sont testés à Hammaguir.
Essai technologique sur Véronique 61 : succès total.
Essai opérationnel toujours sur Véronique 61. Bien que l’expérience scientifique n’ait pas réussi par suite d’une défaillance du système de pointage de la charge utile, le système SGC de récupération a parfaitement fonctionné.
C’est donc rassuré sur les capacités de ce système que je rejoins l’Argentine par avion le 10 octobre.
Sauf que le 15 septembre 1966 j’avais appris par le plus grand des hasards que le poids à récupérer était passé de 250 kg à 354 kg, et personne n’avait songé à m’informer de cette énorme dérive.
Télex à El Monte. Réponse immédiate. Maximum 300 kg : au-delà le parachute principal explose : renvoyez les deux compartiments à El Monte.
Impossible : ils doivent partir avec les fusées et les autres modules de vol dans dix jours en Argentine.
Alors changez de parachute en France : il reste un volume libre dans le cylindre central du compartiment.
Depuis deux ans nous avions entamé avec la société Latécoère le développement d’un module de récupération des futures pointes en particulier des expériences du CERMA consistant à placer des singes en apesanteur et les récupérer vivant. La chaîne de parachutes est dévolue à la DEFA (Direction des Etudes et Fabrications de l’Armement).
Contacté, cet organisme accepte de substituer au parachute principal Américain, un parachute Français capable d’assurer la mission.
Cette substitution aura lieu en dix jours et fera que les compartiments partiront en Argentine avec la totalité du matériel de vol.
Je vole vers Resistancia (Chaco Argentin) en passant par Dakar, Rio, San Paolo, et Buenos Aires. C’est la première fois, j’ai vingt-huit ans, que je traverse l’équateur.
Arrivés à Resistancia, nous sommes accueillis par les autorités militaires qui coopèrent avec nous
(Génie civil de l’aire de lancement, radar, opérations de récupération)
Je suis frappé par la tenue des soldats qui me rappelle celle des soldats allemands de l’Africa Korps en 1943. Je me ferai confirmer que l’Argentine, en remerciement de l’aide (neutralité bienveillante) apportée à l’Allemagne nazie pendant la Seconde Guerre mondiale et encore plus de l’aide aux réfugiés nazis après la guerre, a récupéré les stocks de l’Africa Korps a qui il a suffi de changer les insignes.
Estancia GuaycouruOn me transporte à trois km de notre base d’envol de Lapachito, à trente-cinq km à l’Est de Resistancia dans une Estancia à moitié abandonnée qui se nomme Guaycuru. Les équipes Onera, de Titus et du pointeur Cassiopée résident dans Resistancia dans l’Hôtel Covadonga, certes plus confortable, mais moins proche de la nature et de la base que Guaycuru.
Il nous est dit à cette occasion que nous sommes totalement libres de nos déplacements tant que nous restons dans la province du Chaco, mais qu’il nous est fortement déconseillé de nous rendre dans la province de Formosa, au Nord en bordure du Paraguay, où se trouvent des gens qui (sic) ne nous aiment pas du tout !
Je me sens concerné, car les points de chute des charges utiles sont prévus au Nord-Est dans cette province.
Dans le mois qui nous sépare des deux lancements le matériel me prend peu de temps : aussi en ai-je pour me préoccuper des opérations de récupération.
On me présente l’équipe de l’armée de l’air Argentine sous les ordres du commandant Raynaud (lointaine origine française) qui encadre le pilote Antonio di Genaro d’un Cessna 172 (avion d’observation à aile haute) et d’un pilote d’hélicoptère dont j’ai oublié le nom…
Nos hôtes de l'Estancia GuaycouruTrois types d’activités en matière de préparation des opérations de récupération.
a) vols de reconnaissance en Cessna au-dessus de la zone prévue pour les impacts.
Ces vols révéleront que la zone est difficile, constituée de 50 % de terrains accessibles (savanes) et 50 % de terrains difficiles d’accès (bois extrêmement touffus). En termes de probabilité cela veut dire que les pointes ont 25 % de chance d’atterrir en zone favorable, 50 % de chance d’atterrir dans les deux zones et 25 % de chance d’atterrir toutes deux en zone boisée très difficile d’accès.
b) un programme d’entraînement en hélicoptère (Bell et Howell) est alors décidé consistant à déployer une échelle de corde de 20 m au-dessus d’un bois et me faire descendre et remonter l’échelle au-dessous de l’hélicoptère en vol stationnaire : exercice difficile que seul une condition physique adéquate (je n’avais que vingt-huit ans !) me permit de faire sous les yeux du personnel de la base et leurs encouragements.
c) des entraînements homing : des balises sonores étaient implantées dans les suspentes des parachutes principaux et émettaient dès leur ouverture. A bord du Cessna deux antennes à droite et à gauche de l’avion indiquaient le cap à suivre pour localiser les balises. Ce système avait parfaitement marché au Sahara et marchait avec des balises déployées au sol sur la base.
Dans la soirée je suis transféré au Nord de la zone de retombée dans un village (Général Belgrano) ou je passe la nuit dans le dortoir d’une école avec le pilote Antonio di Genaro.
Je me mets en place dans la cour de l’école. Je dispose d’une radio (Bande Latérale Unique) en liaison avec la base de lancement et d’un récepteur de la fréquence des balises.
A 13 h 40 min et 27 secondes TU, le matin en Argentine, j’entends distinctement au BLU "Alpha partie" puis trente secondes plus tard "Bravo partie".
Je devrais entendre les balises dans dix minutes environ.
Trajectoire des fuséesMais vingt minutes se passent et je n’ai rien entendu : la possibilité d’un double échec germe alors dans mon esprit.
Antonio va alors chercher Blamont à Lapachito puis revient avec lui, me reprend au passage et nous commençons le survol de la zone de retombée, sachant que les deux Titus avaient eu une trajectoire nominale.
Les premières rondes ne donnant rien le pilote Argentin va faire preuve d’originalité (je suis moi-même pilote de l’Armée de l’Air).
Il passe au-dessus des villages de la zone, bat des ailes. Nous voyons alors un gendarme évacuer l’artère centrale puis faire des signes au pilote avec un drapeau blanc.
Toutes les villes de la région sont construites à l’américaine avec des rues orthogonales.
En toute sécurité le pilote nous pose sur l’artère centrale puis rejoint le gendarme entouré de quelques témoins. Tous nous disent la même chose : ils n’ont rien vu mais ils ont entendu un énorme bang dans telle direction. Ce ne peut être que le bruit d’une pointe supersonique. Mais pourquoi un seul bang ? L’autre était subsonique ? Mais alors les parachutes se seraient ouverts pour l’une des pointes : un peu d’espoir renaît.
Quatre fois de plus Antonio nous pose dans les villages environnants, Commandante Fontana, Ibarreta, Pampa del Indio, Pirané. A chaque village des témoins auditifs nous indiquent la direction dont provenait le bang.
La nuit arrive et Antonio nous propose de dormir dans une estancia, l’estancia Hertelendy.
Curieuse estancia. Immense. Elle dispose d’une piste d’atterrissage avec en bout trois Cessna privés du même type que le nôtre. Pour que le propriétaire puisse s’assurer chaque jour de la position de ses troupeaux. Nous sommes reçus par un homme d’une cinquantaine d’années qui se présente comme Suisse et directeur de l’estancia. Très grand et chauve. Accueil glacial. Un repas frugal nous est servi en cuisine pour tous les trois : aucun convive pour se joindre à nous. Les serveurs sont des hommes qui ont environ quarante ans et parlent Allemand entre eux. Aucune femme n’est visible, ni aucun Argentin, ni peones ni gauchos a priori tous utiles dans cette immense propriété.
Le silence est de rigueur. Antonio rigole : ils ne vous aiment pas beaucoup les Français. Ils prétendent que vous les avez trahis en 1944.
Penchés sur une carte d’état-major de la région, nous reportons les axes d’audition à partir de chaque village… et constatons qu’elles se recoupent dans le secteur du Monte Lindo, au Nord de Pirané.
Au matin nous décollons de l’estancia Hertelendy vers 9 heures Dans le Cessna Antonio pilote en place gauche, la carte d’état-major en place droite. A l’arrière Blamont est à gauche et moi à droite. Nous allons tourner des heures au-dessus du Monte Lindo et acquérir la certitude que les pointes sont retombées en zone fortement boisée. Antonio descend très bas pour qu’on ait une vision oblique par les lisières. Bien qu’ancien pilote, je commence à me sentir indisposé, subissant les virevoltes d’un avion que je ne pilote pas.
Que dire de Blamont, qui lui n’a pris que des avions de ligne, de nombreuses fois il est vrai !
A 16 h 58, c’est lui qui pousse un hurlement : Lààààà !Croquis des charges utiles
Effectivement nous voyons sur notre droite des débris métalliques presque en lisière de forêt, sous le couvert. A partir de là, tout va se passer très vite. Antonio largue un puissant fumigène pour marquer l’endroit, puis nous pose à Pirané, L’hélicoptère nous ramène sur le fumigène et nous dépose à cent mètres des débris. Course dans les herbes hautes. On pénètre dans le bois et atteignons l’épave de la pointe qui a bien percuté le sol à une vitesse supersonique. Il n’en reste pas grand-chose de visible, au trois-quarts enfouie dans le sol. Mais ce qui reste est parlant car il y a la totalité du compartiment de récupération, hermétiquement clos, avec ses parachutes à l’intérieur. Et je m’aperçois immédiatement de la cause de l’échec : si le premier cordeau à charge creuse a bien fait son office, le second n’a pas fonctionné et le couvercle des parachutes est resté en place ! Pas fonctionné, si, mais mal, car la découpe n’a eu lieu que sur les deux tiers de la circonférence. Je suis étonné, ce type d’incident étant réputé impossible par l’industriel. Je comprends alors que la poudre du cordon a pris l’humidité de l’air ambiant du Chaco pendant un mois, au point de ne plus détonner.
Blamont et moi sommes d’accord pour identifier la pointe Bravo et décider que rien ne vaut la peine d’être ramené.
Antonio a continué seul de tourner dans les airs et repère Alpha. Nouveau fumigène. Saut de puce en hélicoptère (environ 2000 m). Course dans la savane. Sous les bois. Alpha est là, en bien meilleur état.
Le parachute stabilisateur s’est correctement déployé mais pas le système d’ouverture du parachute principal. La DEFA s’est plantée en remontant le système de parachute SGC. Les cisailles pyrotechniques ont fonctionné mais, mal implantées n’ont pas coupé les cordes qu’il fallait !
Blamont décide de ramener la pointe Alpha…
Témoignage de Jean-Pierre Morin