hami201 |
Au Poste !
A mes amis du poste 7
Imaginez un univers infiniment plat, hostile par sa monotonie, apaisant par son uniformité, là trois tours d'observation plantées par je ne sais quel hasard, une tache d'humain dans ce monde lunaire, où la monotonie de l'horizon est parfois rompue par une rampe lointaine ou la carcasse métallique d'une fusée.

Un univers infiniment plat...
Tel est l'aspect du poste 7, semblable à beaucoup d'autres d'ailleurs dans lequel je fus accueilli à bras ouverts.
Et oui ! on y vit, on s'y ennuie aussi.
Le soir on contemple les étoiles qui semblent encore plus énigmatiques dans ce monde impossible. On se pose des questions, on se sent petits, ridicules. Néanmoins cet univers nous émerveille plus qu'il ne nous écrase.
La vie en poste n'est pas seulement une source de rêves, on y travaille, on y travaille très dur parfois, la voix que l'on entend dans l'interphone donne des ordres, il faut les exécuter, et le plus consciencieusement possible car le poste est le maillon indispensable de tout une chaîne de travail, il ne doit pas faiblir.
Prise d'écoute, trois heures du matin ! La fusée n'a pas d'horaire, l'opérateur cinéthéodolite se lève tôt, les caméras doivent être prêtes longtemps avant l'heure H, et c'est l'attente, le temps parait long sur ces engins complexes, merveilleux de précision.

trois tours d'observation plantées par je ne sais quel hasard...
On attend, on attend toujours... parfois la voix lointaine de l'interphone brise à nouveau le rêve qui s'amorce. "Tour d'horizon" et on s'oriente sur le minuscule damier perdu au loin dans les turbulences de chaleur.
Ici l'hostilité n'existe pas, quand elle apparaît elle s'estompe presque aussitôt, alors ce sont des "coups de gueule" rapidement étouffés par le vent qui souffle violemment. La camaraderie reprend le dessus, on part avec un ballon, on se défoule... but! et vlan! le ballon vient heurter la tonnelle de bambou et on recommence...
Le soir le "cuiste" prépare un repas qu'il s'efforce de soigner, il y en a un qui part, un qui arrive, tout est sujet à festin. On sort alors le Martini et on prépare un bon café. Parfois même (le règlement me le pardonnera) c'est une bouteille de gnole venue d'on ne sait où...l'alcool monte à la tête, on a des ailes...
Le bahut du samedi emporte au cinéma de la base cette bande de joyeux pendards... là ils prennent leur cure de civilisation et repartent vers leur monde qu'ils finissent même par regretter.
Puis l'ennui revient, on s'étend sur son lit et on rêve au Pays, un gars du Morvan d'une gaieté contagieuse se lève: "J'va écrire à ma grognasse !!" et en rit... Parfois l'ennui s'empare avec plus de ténacité chez l'un ou chez l'autre d'entre eux, "il a l'oeuf" dit-on, on le laisse à ses pensées, on sait ce que c'est.

L'arrivée d'un dépanneur
Tout à coup c'est l'arrivée d'un dépanneur ou d'un chercheur de cailloux, on l'accueille avec une bière, tous entourent l'intrus, on bavarde, on bavarde...
Le courrier est il arrivé? Tiens une lettre pour toi! ... et l'heureux élu part dans un coin lire avidement ce morceau de pays qu'on lui donne.
Il fait chaud, il fait froid, on ne sait plus très bien s'il faut mettre un pull over. Le vent de sable arrive brusquement, sans prévenir, interrompt une partie de pétanque mouvementée et on se retrouve dans la cuisine pour une partie de Tarots; trois minutes avant, on avait souhaité se balader à moitié nu au soleil.
On est en novembre; le soleil est un supplément et ce supplément on ne l'a pas volé!
Gilbert Cazin pour "Deux colonnes dans la lune"