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DR : Pouvez-vous revenir sur l'atmosphère de travail qui caractérisait ces bases sahariennes, dont les équipes furent celles que l'on allait retrouver en partie par la suite sur la base de Kourou ?
BD : Oui partiellement. Le champ de tir de Colomb-Béchar et Hammaguir était un champ de tir militaire. Il y avait une grande différence, en ce sens qu'il y avait une très importante contribution des militaires ; notamment, toute la logistique sur la base était faite par les militaires.
Lorsque l'Armée est engagée dans une action quelque part, et c'était surtout vrai à l'époque, la notion d'économie des dépenses n'est pas présente. Paradoxalement, on avait une débauche de moyens dans certains secteurs, mais une grande pénurie dans d'autres.
Pour prendre l'exemple des télécommunications entre Colomb-Béchar et Paris : le téléphone ne marchait pas. C'était une simple liaison HF... Le télex passait, pas très bien, mais enfin il passait... C'était le seul moyen de télécommunications que nous avions.
On a du mal à imaginer aujourd'hui les communications de l'époque... Malgré tout, on arrivait quand même à avancer dans la construction de ce champ de tir. La France était à ce moment dans la mouvance de la mise en place de la force de frappe, dans laquelle elle avait beaucoup développé de technologies critiques. Elle avait une avance technique et technologique significative. Et les moyens mis en place au CIEES étaient des moyens déjà performants.
DR : Avez-vous conservé des souvenirs précis, des anecdotes, sur les lancements de fusées sonde et les problèmes rencontrés ?
BD : Je n'en ai pas beaucoup, parce que, moi, j'ai travaillé sur l'équipement du champ de tir et j’ai assez peu participé aux opérations de lancement à l’époque.
J'ai souvenir de choses, mais qui sont connues je crois : Une fusée Bélier qui, dans son hall d'assemblage – donc en position horizontale – a été mise à feu de façon intempestive et cela a créé de grandes frayeurs.
Je me souviens également d'un VE 121 qui a explosé ; c'est très confus et je ne suis pas du tout certain ; je peux me tromper de numéro de véhicule. Cela marchait avec de l'acide nitrique et du kérosène et cela dégageait donc des vapeurs nitreuses extrêmement toxiques. Et là aussi, ça a été un accident qui heureusement n'a pas fait de victimes.
J'ai peu d'anecdotes à vous raconter sur les opérations, car comme je vous l’ai dit, je n’y participais pas.
DR : Est-ce que vous avez créé là-bas des contacts avec des personnes que vous avez retrouvées par la suite ?
BD : Oui, tout à fait… la continuité... Vous avez dit tout à l'heure que ça nous a préparés aux affaires de Guyane…
C'est vrai. Et d'ailleurs, un certain nombre des grands personnages qui ont fait la Guyane, à commencer par le général Aubinière qui a été le patron du CIEES avant que j’arrive.
Lorsque j'y étais, c'était le général Hautière qui commandait ; le général Aubinière avait marqué son époque déjà à Colomb-Béchar, bien évidemment.
Je me rappelle avoir fait un vol en Météor avec Yves Sillard, qui à l’époque était pilote d'essais au CEV, à la section de Colomb-Béchar. Ce sont des souvenirs et des rencontres qui m’ont, bien entendu, marqué fortement.
DR : Vous avez rencontré Marius Lefèvre ?
BD : Non, à l'époque, il était dans les états-majors à Paris. Mais il a été à Colomb-Béchar ?
DR : Oui, il était officier de tir, à la période qui vous a précédé.
BD : Oui, c'est bien possible. Je ne l'ai pas rencontré, mais j'en ai rencontré certains : Francis Marty, que j'ai retrouvé à plusieurs reprises, après, dans ma carrière ; Jean-Claude Renou qui s'occupait des engins cibles (CT 10, CT 20, CT 41...) ; et puis un certain nombre d'autres.
Comme vous m'avez posé la question tout à l'heure : il y avait surtout des militaires que l’on n’a pas tellement revus depuis parce qu'ils étaient là en affectation et après leur période, ils partaient ailleurs.
Donc, ceux qui ont construit la base, tant sur le plan infrastructures que sur celui des moyens techniques, on ne les a pas tellement rencontrés en Guyane. C'étaient des équipes neuves qui ont construit la base de Guyane, parce que le général Aubinière, qui était le patron du CNES lorsqu'on a construit le champ de tir, a vraiment mis en place une équipe de jeunes.
Il les a envoyés aux États- Unis se former ; il s'est appuyé sur toute une mouvance qui est venue introduire un sens différent.
D'ailleurs vous savez, dans tous ces mélanges de cultures... l'Armée d'une part, et puis ces jeunes qui ont été recrutés à ce moment-là... puis aussi les scientifiques... Et lorsque tous ces gens-là se retrouvaient tous ensemble, cela faisait un mélange d'approches qui était salutaire et complémentaire. Je crois que c'est dans la diversité de ces approches que l'on a généré des activités nouvelles.
En ce qui concerne les ingénieurs qui sortaient des grandes écoles, il y a eu impérativement le mélange de ces écoles. Et je ne vous citerai que Michel Mignot : responsable d’infrastructures, c'était un type absolument majeur et déterminant en affaires ; il était des « Arts et métiers ». Un polytechnicien n'aurait pas su faire ça, c'est bien clair. Un centralien n'aurait même pas su faire ça non plus.
Ce sont vraiment des métiers complémentaires. Je prends souvent cet exemple-là.
DR : Pour parler de votre vocation aéronautique et spatiale, qu'en est-il ?
BD : J'avais alors, quand même, un petit penchant pour l'Aéronautique. Le spatial, à l'époque, on en parlait fort peu. Quand on était encore à l'école, Il y a eu effectivement les premiers balbutiements américains et soviétiques. Mais c'était encore une curiosité, on ne savait pas encore ce que cela deviendrait aujourd'hui.
DR : Je pose cette question à tous les pionniers de l'Espace, car chez la plupart, c'était soit le Spoutnik, soit l’expérience de la deuxième guerre mondiale qui les avaient poussés à voler eux aussi, ou à se lancer dans une carrière aérospatiale...
BD : Non, moi ça n'était pas ça.
L’envie de piloter, oui… : je suis pilote, pilote privé. J'aurais voulu faire Supaéro…
En sortant de l’X, j'ai fait l'École Nationale Supérieure de l'Armement. Car vous savez, en sortant de l’X, on choisit les écoles qu'on veut dans l'ordre, et j'avais mis Supaéro en-tête de ma liste, puisque je ne pouvais pas prétendre aux écoles de tête. Je suis sorti 180ème et quelque…
En fait, c'est celui qui était devant moi qui a été le dernier rentré à Supaéro. Je me suis donc retrouvé à l'École supérieure de l'Armement et j'ai beaucoup regretté Supaéro.
Effectivement, j'avais quand même une attirance pour les choses de l'Aéronautique, mais pas pour l'Espace. Le bruit du Spoutnik ne m’avait pas plus marqué que n'importe quelle autre nouvelle, mais l’aéronautique m'attirait ; j'avais envie de voler. Mais je n'ai pas fait supaéro.
D'ailleurs, la petite histoire est un peu triste puisque le garçon qui était rentré devant moi à Supaéro s’est tué l'année suivante à Meknès, en entraînement en vol. C’est un des hasards de l'histoire...