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DR : Pour en revenir à cette époque pionnière de la base de Guyane, comment avez-vous perçu la manière dont les premiers lancements se sont effectués par rapport à ce que vous connaissiez de la base de Colomb-Béchar... Quels étaient les différences... ?

BD : Moi, je débarquais. Je ne connaissais pas particulièrement bien les opérations de lancement à Colomb-Béchar. J'étais un constructeur. Enfin… je faisais partie de l'équipe de mise en place des moyens, mais pas des équipes opérationnelles.
Par contre, Sillard était au CEV [Centre d’Essais en Vol]. Donc, les opérations aériennes, les interceptions – qui se faisaient beaucoup à Colomb-Béchar – ou les opérations de lancement, il était beaucoup plus préparé à ça.
Je peux donc difficilement comparer les deux ; par contre ce que je peux comparer, ce sont les opérations de lancement de fusées sondes que l'on faisait à l'époque et les lancements Ariane que l'on fait aujourd'hui.
D'abord, il y a plusieurs ordres de grandeur entre les deux. Il y a des gens qui ont fait des commentaires du type : « On a construit un ensemble de lancement, des blockhaus, des installations finalement assez ambitieuses toutes proportions gardées, alors que pour lancer des fusées sondes à Andoya, à Kiruna ou Dieu sait où, les gens avaient beaucoup moins d'infrastructures. On a été peut-être été un peu surabondants au niveau des installations de lancements fusées sondes....». Mais cela ne fait rien, parce que cela a entraîné tout le monde à faire un véritable ensemble de lancement cohérent, construit et rationnel.
Je ne sais pas si vous avez vu l'ensemble de lancement fusées sondes ; je ne sais pas dans quel état il est aujourd'hui exactement, mais vous avez les rampes de lancement et puis, en face de chaque rampe, vous avez un hall de préparation, bâtiment assez imposant en béton armé... Tout cela était relié... On avait mis des câbles que l'on avait enterrés dans des caniveaux, tout un luxe d'infrastructures qui étaient peut-être un peu surabondant.
Ensuite, les opérations elles-mêmes étaient conduites par des officiers de tir qui venaient de Colomb-Béchar.
Il est donc vrai que dans la division fusées sondes de Bernard Golonka, il y avait les Marius Lefèvre, les Jean-Claude Renou, les Christian Plunian – qui n'était pas un militaire, je ne sais pas comment il était arrivé là. Il était de la SODETEG – tous ces gens-là venaient de Colomb- Béchar, ils avaient le savoir-faire de Colomb-Béchar et ils ont conduit les opérations de façon assez rigoureuse ; je dirais « assez rigoureuse », parce qu’à côté de ce que l'on fait aujourd'hui, il y avait quand même beaucoup moins de rigueur.
Il faut être clair. C'était aussi beaucoup plus simple, les moyens étaient faibles enfin les moyens de lancements étaient ce qu'ils étaient... Mais je pense à cette récupération en mer... On avait l'ambition de récupérer les pointes de fusées sondes en mer, mais on n'a jamais réussi.
On a ramassé la première. La pointe se trouvait à 10 km du pas de tir dans les marécages, alors on l’a retrouvée. Mais ensuite, les pointes de fusées sondes qui se sont trouvées larguées en mer, à 100 ou 200 km des cotes, je ne sais plus où se trouvait le point d’impact, enfin le point d’impact nominal. Comme il n'y avait pas de système de guidage, ni de pilotage, elles se retrouvaient où elles pouvaient et on ne les a jamais retrouvées. Malgré tout, c'étaient des moyens qui étaient plutôt sous-dimensionnés.

Il y avait, à Brétigny, deux divisions qui s'occupaient du champ de tir de Guyane : l'une, dirigée par Yves Sillard, qui s'occupait de la construction du champ de tir, et l’autre, dirigée par Norbert Charbit, qui s'occupait de l'exploitation du champ de tir. L'un avait une vision juste : c'est lui qui a été à l'origine de tout ce qu'est le CSG aujourd'hui ; il avait vraiment conçu les ensembles de lancements, Diamant puis ELDO ; c'était Yves Sillard... Enfin pas exactement, puisqu'ils se partageaient la tâche avec l'infrastructure qui était dans l’autre division. L’autre division, elle était bien pour faire l'infrastructure, pour faire la « promotion des privés », pour s'occuper de la ville... Mais alors, elle n'avait pas vraiment la vision d'un champ de tir opérationnel, la partie opérations ; ça n'était pas vraiment ça.
Pourquoi ai-je commencé à vous parler de cela ?
Parce que l'opération récupération en mer avait été conçue par cette division exploitation et elle n'avait pas tout à fait réalisé la difficulté d'une telle opération, même s'il s'agissait – enfin quand même – d'une petite pointe de fusée sonde de 550 cm de diamètre et de 1m50 de long... Pour retrouver cela dans la mer, les moyens qu'on avait n'étaient pas à la hauteur de la mission.

DR : Et M. Norbert Charbit... ?

BD : Je ne sais pas où le joindre. Il était quand même beaucoup plus vieux que moi ; je ne sais pas s'il est encore en vie. Il avait sous son autorité un ingénieur fort sympathique qui s'appelait Roger Vidal, et tous ces gens-là étaient sous la direction de Pierre Chiquet qui est devenu ensuite directeur du GIAT [Groupement des Industries de l’Armée de Terre].

DR : Vous êtes directeur du Centre spatial guyanais à partir de 1971. Peut-on revenir sur la période de transition qui précède votre nomination ?

BD : J'ai grimpé les échelons sur place.
Quand on a mis en place l'organisation qui a été conçue par Yves Sillard et qui couvrait l'ensemble des activités dans l'optique du lancement Diamant, qui était une dimension plus grande que le lancement fusée sonde, j'étais donc le patron du Département moyens d’opérations dans lequel il y avait les moyens de récupération en mer mais aussi les télécoms... il y avait quatre secteurs.
J'étais patron de ce département. Puis Guy Kramer est parti ; Sillard – qui était arrivé comme directeur technique
– a pris la direction du CSG et moi je suis devenu directeur technique.
C'était en 1969, et en 1971 j'ai remplacé Sillard. Je suis le seul directeur du CSG grimpé par le rang. Les autres ont été parachutés.

DR : Avez-vous connu M. Guy Kramer ?

BD : Oui je l'ai connu. Je l’ai d'ailleurs revu dans une manifestation de l'IFHE ; c'était un homme de travaux publics, c'est-à-dire qu'il avait un petit côté « roitelet » : il se prenait un petit peu pour le roi de Kourou, pour ne pas dire de la Guyane ; il fréquentait beaucoup le préfet; il recevait... mais avec classe !
Il avait amené avec lui deux domestiques, son chauffeur pakistanais, et un maître d'hôtel ; il menait grand train.
Nous, cela nous faisait un peu rire. Il surveillait les chantiers, mais malgré tout c'était Brétigny qui dirigeait. Il s'occupait surtout des relations avec le préfet et les autorités locales ; c'était vraiment cela sa fonction.
Il était en cravate et nous on était en « jeans ». En fait, on le regardait un peu de façon narquoise... J'ai essayé d'avoir des relations avec lui... Une fois, il m'a mis dans une colère noire, parce qu'on devait lancer une fusée sonde – je ne sais plus laquelle – et il fallait couper la route pour des raisons de sécurité et de sauvegarde, et alors il m'a fait tout un cirque, en me disant que c'était inconcevable de couper la route... Le ton est monté…
On a donc eu quelques accrochages comme ça, parce que, vraiment, je ne le trouvais pas...
En plus, c'était l'époque où on faisait beaucoup de bêtises … Il y a un micro, il faut donc que je fasse attention à ce que je dis... Toutes les « bêtises » qu'on pouvait imaginer étaient bonnes : le « père Kramer » a toujours été un peu la cible de nos farces... Puis Sillard est arrivé et ça a remis un petit peu d'ordre : on a arrêté de faire des bêtises de collégiens…
Ce brave Kramer, à la fin, j'étais un peu « copain » avec lui et puis, quand on s’est revus récemment, on est tombés dans les bras l'un de l'autre.
C'est toujours comme ça que ça se passe. Il assumait son rôle de directeur au moment où c'était la phase infrastructure puis est arrivé Sillard. Alors évidemment ce fut tout à fait différent et on est rentré dans la phase opérationnelle.