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DR : Ces différents projets se sont mis en place sous votre …
BD : Non, non. Ça s’est fait depuis. Il y en a eu des quantités de … Il y a eu le « Plan Vert ».
Alors là, Michel Mignot avait fait un pari sur le développement de la région Sinnamary. Mais il faut bien se dire, en dépit de toute l’amitié et de l’admiration que j’ai pourMignot, il s’est trompé.
Il a fait construire… enfin il a soutenu l’idée de la construction de l’hôtel du Fleuve à Sinnamary…
DR : C’était dans la perspective de la réussite du programme Hermès aussi…
BD : Le programme Hermès n’y aurait rien changé. On s’était mis à rêver et à délirer. Quand on a fait Diamant, la plaquette de la ville qu’on avait fait en 1966 prévoyait une ville de 50 000 habitants... On délire tout de suite quand on a des projets comme ça.
Quand il y a eu Hermès, on a cru comme ça, tout d’un coup, que là aussi… Le délire est parti.
Même si Hermès s’était fait, ça aurait crée quelques équipes opérationnelles, oui… On aurait construit la piste dont on parlait, enfin soit la piste à Kourou, soit on aurait fait des installations pour ramener Hermès de Cayenne à Kourou; certes il y aurait eu des réalisations…
DR : Il y eu une route qui a déjà été élargie pour que la navette puisse passer, la Matourienne…
BD : Oui… Alors, attendez : ça n’est pas seulement pour la navette. […] Elle n’a pas du tout été construite pour Hermès, cette route. D’abord elle n’est pas extrêmement large, elle est aux normes de n’importe quelle route.
Elle n’a pas du tout été faite pour Cayenne ; elle est une voie de désengorgement des entrées de Cayenne qui étaient très engorgées ; elle permet de desservir tout Matoury, Rémire-Montjoly, etc...
Elle favorise d’ailleurs le développement de cette partie-là, puisque, là aussi, on voit fleurir des exploitations et autres le long de la route. Mais ça n’a rien à voir avec Hermès. Je ne sais pas qui vous a raconté ça.
[…]
Justement, ces affaires de développement… J’ai beaucoup travaillé avec Mignot depuis 2 ou 3 ans sur l’idée d’aider au développement de la Guyane, de réduire le déséquilibre entre le CSG et le reste de la Guyane.
J’ai beaucoup travaillé sur la création d’un centre de maintenance aéronautique à Rochambeau ; j’ai fait l’étude de faisabilité pour la chambre de commerce et actuellement ce projet a été adopté et ils sont en train de faire ce qu’il faut pour le mettre en route, mais je ne sais si ça marchera parce que on s’aperçoit quand même – et ça Michel Mignot est bien placé pour le savoir, il ne fait plus que ça – que pour faire bouger « l’appareil guyanais » qui est constitué, je dis bien, à la fois des fonctionnaires (la préfecture et les services) et de tous les élus guyanais (le conseil général, le conseil régional…), pour faire bouger cette planète, c’est dur…
DR : J’ai pu assister à une conférence de Michel Mignot sur la « Mission Guyane », où il révélait à ses auditeurs ses craintes de ne pas voir ce projet aboutir depuis qu’il avait été remis aux institutions compétentes…
BD : On avait d’ailleurs fait ici [Société Satel Conseil] une autre étude pour le réseau V-Sat, pour apporter l’accès Internet à toutes les communes de Guyane, à tous les sites isolés. Là aussi, ce projet a été adopté et il était finançable. Car vous savez que le budget du contrat de plan État-Région n’est jamais dépensé, car il n’y a pas assez de projets pour dépenser l’argent, donc il y a de l’argent…
Et bien ce projet était fait ; on l’avait poussé dans les moindres détails : les devis étaient faits, les fournitures étaient recensées... Mais je ne sais plus où ça en est.
Alors, il y a eu un projet qui a bien marché – et ça Mignot a du en parler lors de sa conférence – ce sont les valises de télémédecine. Je suis allé à l’hôpital de Cayenne visiter le PC opérationnel du projet, et c’est bluffant…
Ils ont donc décidé d’équiper plus de sites et de mettre d’autres stations V-Satellite, mais qui marchent avec Intelsat, en bande C : cela convient mieux à des stations assez coûteuses...
Nous (Satel Conseil), nous avions étudié un projet avec des V-Sat nombreux, mais plus petits, modernes et en principe moins chers. Ils en sont à la génération d’avant, mais ça ne fait rien ; ils vont construire quelques stations de plus, un réseau qui est géré par Outremer Télécoms.
De toute façon, c’est bien, car il vaut mieux faire ça que rien ; on aurait pu faire plus mais …
DR : On va peut-être conclure sur votre départ du monde spatial en 1973, dans une période tourmentée, celle de l’abandon du programme Europa 3, du développement incertain du programme Ariane avec Valérie Giscard d’Estaing qui n’était pas du tout convaincu par la place que la France allait prendre dans le monde spatial... est-ce que ce contexte explique votre départ ?
BD : Alors non, pas du tout. J’étais réellement fatigué, avec une certaine usure de mon point de vue. Je suis donc parti, avec une seule idée en tête : celle de revenir. Mais je ne suis jamais revenu, parce qu’on m’a toujours dit : tu étais directeur, donc tu ne peux pas retourner.
C’est vrai, je suis l’un des rares qui voulaient y retourner et qui n’a pas pu, alors que mes collègues qui voulaient y retourner y sont retournés car, n’étant pas directeurs, on leur trouvait une position qui leur allait bien.
En plus, je ne me rappelle plus de la position de Giscard d’Estaing… Par contre, je me souviens très bien de 1973 – je ne sais plus quel mois c’était – et du sauvetage de l’Espace européen lors de la conférence de Bruxelles.
D’ailleurs, suite à une intervention très brillante et très remarquée du ministre belge, Charles Hanin, qui a déterminé une politique européenne dans laquelle on a dit que les Anglais feraient les satellites de télécommunications, les Français les lanceurs et les Allemands l’infrastructure orbitale...
D’où Spacelab, d’où les lanceurs et la famille LIIIS, qui est devenue Ariane, et puis les Anglais qui ont fait OTS, ETS puis ECS, les satellites européens de télécommunications qui étaient expérimentaux.
Il y avait une affaire bilatérale : c’est Symphonie, qui était un programme franco-allemand. Je sais que le général Aubinière avait décidé de l’européaniser en le proposant à l’ESRO mais ça n’a pas été adopté ; donc la France et l’Allemagne ont continué tranquillement à faire Symphonie dont j’ai été responsable en rentrant de Kourou.
En effet, en rentrant de Kourou, le responsable CNES de Symphonie, qui s’appelait Dementhon, venait hélas de décéder; donc on m’a proposé de lui succéder J’ai donc fait le programme Symphonie.
Pendant ce temps-là se mettait en place ce développement de politique européenne qui, à l’époque, a permis de surmonter une crise et de lancer les bases d’une politique spatiale européenne qui a marché jusqu’à maintenant.
Même si, depuis quelques années, on dit qu’il faudrait relancer une nouvelle vision… Parce que c’est vrai que la vision de l’époque, qui a tenu le coup pendant une bonne vingtaine d'années, maintenant il faudrait la relancer et la relance tarde à venir.
En tout cas, pour la France, ça voulait dire les lanceurs et la France a bien réussi sa mission. Il y a eu ce sauvetage en 1973, mais moi j’étais responsable de Symphonie et je n’ai jamais eu le sentiment…
Après, j’ai été nommé à l’Agence spatiale européenne pour diriger le programme Spacelab ; donc je n’ai jamais eu le sentiment, dans ces différentes fonctions, qu’il y avait un ralentissement du momentum de l’Espace. Pas du tout…
On a été très soutenus par tous les gouvernements successifs, qu’ils soient de droite ou de gauche. Je n’ai pas mémoire d’un manque de soutien de l’Espace ; il y a eu des difficultés, des moments de crise, mais le momentum a toujours poussé l’Espace vers l’avant.
Alors maintenant, il est davantage tiré par le commercial. Évidemment, Ariane est en difficulté en ce moment ; le problème est grave parce qu'on n'a pas réussi à être les « numéro un » en matière de lanceur pendant que les Américains – qui ont enfin compris leur erreur stratégique – sont revenus.
Maintenant qu’ils sont revenus, ça va être au couteau et ça va être très dur pour Ariane...
DR : Vous êtes donc directeur du programme Symphonie de 1973 à 1975 … un satellite lancé par les Américains…
BD : Qui était prévu par la fusée de l’ELDO… et puis comme la fusée européenne n’a pas marché…
Alors, j’ai vécu des épisodes amusants. Le plus naturel était d’aller trouver la fusée américaine, le Thor-Delta qui était opérationnelle, et c’est ce qui a été fait...
Mais, évidemment, il y a toujours des esprits toujours très intellectuels et très générateurs d’idées un peu farfelues.
Et donc, en France, il y avait une coopération franco-soviétique, qui marchait bien d’ailleurs, et il y a des gens qui se sont imaginé que l’on pouvait lancer Symphonie sur Proton… enfin sur un lanceur russe.
Je suis allé négocier le lancement de Symphonie sur un lanceur russe, en traînant d’ailleurs avec moi les Allemands qui étaient extrêmement réticents : c’était un programme 50-50 avec l’Allemagne. Les Allemands étaient complètements réticents, mais ils sont venus quand même et on a négocié.
Ça a échoué au moins pour une raison : les Russes nous on dit : « Vous amenez votre satellite à Moscou, vous nous montrez comment vous l’assemblez avec nous présents, et puis ensuite on le désassemble, on le met en caisse et ensuite on l’amènera à Baïkonour, mais c’est nous qui l’assemblerons et qui le mettrons sur la fusée ; pas d’Européens à Baïkonour ! ».
Cette condition a été considérée comme inacceptable et nous sommes allés lancer sur le Thor-Delta… avec tout le cirque diplomatique qu’on a fait sur la condition d’utilisation opérationnelle de Symphonie.
On a fait toute une montagne de ce qui n’était à mon avis qu’une contrainte …
DR : Vous faites référence à l’interdiction d’utiliser commercialement Symphonie par les américains … ?
BD : C’est ça, mais ça n’est pas tout à fait aussi simple. À l’époque, les États-Unis, la France, tous les pays étaient signataires de l’accord Intelsat.
Dans la convention d’Intelsat, il était marqué que tout service non national, que toute liaison non nationale, c’est à dire France-États-Unis, France-Afrique…, n’était pas autorisée. Les nations s’étaient engagées à ne pas le faire sans utiliser les moyens Intelsat.
Alors, ce que les Français ont considéré comme inacceptable, c'est que dans le contrat de lancement, les Américains se sont permis de nous rappeler nos engagements. Ils ne nous ont pas interdits de le faire, ils nous ont dit : C’est écrit dans le contrat.
C’est moi qui l’ai négocié, et je suis malheureux de ne pas l’avoir gardé parce que ce n’étaient que quatre lignes. Quatre lignes qui disaient que les Français et les Allemands s’engageaient à respecter les dispositions de l'Article 14 de la convention Intelsat. C’est tout ce qu’il y avait.
Mais l’article 14 disait : les moyens propres [nationaux] français, allemands ... ne peuvent pas être utilisés pour faire des liaisons internationales. Et dans le contrat, les Américains nous l’ont rappelé.
L’effervescence s’est développée, pas tellement sur le fond, mais sur la forme, parce que, en droit international, une nation ne pouvait pas rappeler à une autre nation les obligations qu’elle avait à l’égard d’une organisation internationale. Ça n’était pas diplomatiquement correct.
La diplomatie française en a fait une montagne, et comme c’était léonin, on n’avait pas le choix, on était obligé de signer avec cet article là. Après, ça a été exploité, on a dit : « Les Américains nous ont interdit l’utilisation opérationnelle de Symphonie. » Mais, ce n’est pas vrai ; on avait signé l’engagement de ne pas utiliser de moyens nationaux pour des liaisons internationales, et on l’avait signé avant.
DR : Et finalement, à quoi Symphonie a-t-il servi ?
BD : Il a servi à faire des liaisons nationales… Pas beaucoup… Mais on a fait des liaisons appelées « expérimentales » et on en a fait énormément, partout, dans le monde entier, des quantités de « démonstrations ».
C’était le premier satellite stabilisé trois axes, c’était vraiment le premier satellite européen opérationnel. Il a très bien fonctionné et ça nous a permis de « flight prouver » que tous les systèmes, les équipements qu’on avait mis au point, la stabilisation trois axes – encore une fois, c’était le premier satellite stabilisé trois axes au monde – étaient quand même une avancée fantastique.
Et puis après, pendant des années, on a fait des liaisons expérimentales, on a fait de la « télé-éducation », de la télévision éducative en Inde, on a fait des liaisons avec l’Afrique, on a fait des liaisons de transmission d’images avec toute une série de pays, on a mis des stations en Égypte … on a fait beaucoup d’opérations qui étaient qualifiées d’expérimentales et qui l’étaient puisque ça n’a pas eu de suites opérationnelles. Je crois que ça a été une réussite.
J’avais proposé quelque chose : Puisqu'on n'a pas le droit de faire des liaisons opérationnelles avec nos moyens propres, mettons ces moyens à disposition d’Intelsat, négocions. A ce moment-là, l’exploitation opérationnelle se serait faite au sein d’Intelsat avec une contribution de la France en nature. Cette idée n’a pas été retenue ni explorée…
DR : Vous passez ensuite à la direction du programme Spacelab à l’Agence spatiale européenne…
BD : Il y avait un poste disponible à l’Agence spatiale européenne et comme, pour Symphonie, on avait lancé le premier satellite et qu’il ne restait plus qu’une seule chose à faire, c’était de lancer le second et puis après il y avait ce programme d’utilisation qui ne m’intéressait pas trop, alors j’ai postulé à ce poste à l’Agence et j’ai été retenu. Mais je ne suis pas resté longtemps…