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Témoignage
Jean  Saint-Etienne
 

TRENTE ANNEES AU CNES

à Brétigny et à Toulouse

 

1962-1992

 
 

– I –

1962 – 1967

 

 Aux innocents les mains pleines

Lorsque j’entre au Centre national d’études spatiales, à Paris en septembre1962, l’organisme est tout nouveau, il existe depuis 6 mois et compte 50 personnes. Il ouvre son premier centre technique à Brétigny-sur-Orge (Essonne) quelques semaines plus tard.
En quelques années il va conduire la France dans l’espace.
Quiconque a partagé cette aventure en garde un souvenir exaltant, celui d’avoir œuvré personnellement aux premiers succès spatiaux de son pays. Bien des acteurs ont quitté le CNES après ces premiers succès. Pour ma part, resté fidèle à mon attachement initial, j’éprouve le besoin d’apporter ici un bref témoignage sur la vie intérieure d’une entreprise exceptionnelle, telle que je l’ai vécue à Brétigny puis à Toulouse pendant 30 années.

 


Ignorant presque tout des préparatifs qui avaient amené le gouvernement à créer le CNES, j’avais l’impression d’une naissance ex abrupto, d’une sorte de "big bang" dont j’étais l’un des atomes, à destination inconnue … Jusqu’alors ma trajectoire n’avait rien eu d’aléatoire et mon arrivée à Brétigny était un peu un retour aux sources. Quatre ans plus tôt, jeune ingénieur à Nord-Aviation, j’avais été détaché quelques mois au CEV de Brétigny. C’est là que je m’étais lié à Bernard Golonka. Il me présenta par la suite à Pierre Chiquet, … lequel venait donc de m’embaucher. Passionné d’électronique et de radio pour l’aéronautique j’avais beaucoup appris à Nord-Aviation, il s’agissait maintenant de concrétiser à une autre échelle.

De fait tout va très vite. Nouveau-né, le CNES doit rapidement préciser son positionnement par rapport au paysage préexistant. D’abord, face aux milieux scientifiques, le CNES affirme d'emblée qu'il n'exercera pas d'activités de recherche intra muros, contrairement à la pratique de la NASA, mais il établit une relation systématique avec les laboratoires de recherche intéressés aux sciences spatiales.

En matière industrielle, le CNES ne suit pas le modèle du CEA - qui compte à l’époque près de 30 000 agents ! - il exclut de pratiquer des fabrications en son sein sauf exceptions. Ainsi le CNES joue le rôle de maître de programme, mais il confie à l'industrie la réalisation des stations de poursuite, télémesure et télécommande. Il approvisionne les chambres d'essai à l'ambiance spatiale, mais il en confie la mise en œuvre à une société spécialisée. Une exception importante à cette politique concerne les satellites eux-mêmes : le CNES joue le rôle de maître d'œuvre des premiers satellites, réalisant lui-même des sous-systèmes et des équipements embarqués. S'agissant d'une spécialité entièrement nouvelle, on juge en effet que le CNES doit l'acquérir par lui-même avant d'être en mesure de la déléguer.

Face à d’autres organismes d’état, comme le CNET, l'ONERA et la DMA, qui ont quelques prétentions à l’activité spatiale, les frontières s'établissent peu à peu, grâce à la forte personnalité du directeur général du CNES, le général Aubinière. Face aux organismes spatiaux européens créés à la même époque, l'ESRO pour les satellites et l'ELDO pour les lanceurs, aucune rivalité ne se dessine encore devant l'immense champ à défricher.

Pendant ces premières années, le CNES connaît une croissance très rapide autour d'un noyau initial composé d'un mélange de normaliens, de polytechniciens ingénieurs du corps de l'armement ainsi que d'ingénieurs de spécialités diverses ayant 2 à 5 années d'expérience industrielle. Ils ont été recrutés pour la plupart de proche en proche par relations personnelles. En effet, ignoré du public, le CNES a du mal à trouver des demandeurs d'emploi en cette période de fort développement économique national. Le CNES ne possédant pas encore un bureau de recrutement, tous les moyens sont bons pour trouver des volontaires. Je me souviens d’avoir participé à la prospection pour un poste de mathématicien chargé de calcul d’orbite. Je fis apposer un exemplaire de la fiche de poste comme affiche sauvage sur un pilier de la Sorbonne par ma sœur, étudiante en sciences et c’est ainsi que nous pûmes contacter Michel Lefebvre, qui devait s’illustrer par la suite au GRGS.

Il est vrai que nous avions parfois du mal à faire comprendre le rôle qu’allait remplir le CNES. Lorsque je rencontrais des amis leurs réactions étaient surprenantes : "Ah oui, c’est pour la bombe ! ". Confusion d’autant plus fâcheuse que le CNES s’efforçait de se démarquer du CEA et des militaires et au contraire de jouer sur le registre de la science en maison de verre. Par moments j’avais l’impression de rêver ; étions-nous vraiment en voie de devenir une puissance spatiale ?

Ces rêveries ne duraient pas longtemps car nous étions entraînés par l’énorme impulsion imprimée par le général Aubinière. Le directeur général et les principaux cadres sont animés par le souci commun du service public et par la volonté d'asseoir les projets du CNES sur une compétence interne à forte composante technique. Les ingénieurs sont enthousiastes à l'idée de participer à une formidable aventure, mais en même temps ils ont le sentiment de jouer gros avec les deniers de l'état. La voie déjà ouverte par Soviétiques et Américains montrait que le succès était promis, mais qu'il pourrait n'être obtenu qu'après bien des échecs. Pour sa part, venant après les précurseurs, la France devait réussir du premier coup et rapidement. En résumé, comme aurait pu dire le général, "Faudra qu’ça marche ! et vite !"
Parmi les larges attributions que lui donnait la loi, le CNES s’était fixé un objectif prioritaire : montrer que la France pouvait lancer un satellite et l'exploiter sur orbite. Face à cet objectif limpide, le style de commandement est traditionnel avec une forte autorité, bien acceptée. La structure hiérarchique ne comporte que trois niveaux : direction, division, département ; elle permet aisément de transmettre la pression exercée par le directeur général. La communication horizontale est facilitée par la taille modérée de l'établissement de Brétigny, qui n'atteindra 700 personnes qu'en 1967.

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